Pour la Journée des Déportés du 29 Avril 1984 fut célébré à Thuret le 40ème anniversaire du décès de Mademoiselle Madeleine de CHAZELLES en déportation à RAVENSBRUCK (Allemagne).
Voici ci-dessous la transcription de l’entretien qu’eurent à RIOM, le 4 AVRIL 1984 à 16 heures 30 Monsieur Albert VARENNE-PAQUET, Président des Anciens Combattants et Monsieur Marcel BALNY, Maire de THURET, avec Mademoiselle Isabelle de CHABROL, la nièce de Mlle Madeleine de Chazelles sur le rôle de Mademoiselle de CHAZELLES dans la résistance et les circonstances de son arrestation.
Mlle Madeleine de CHAZELLES fut arrêtée le lundi 27 septembre 1943, à 8 heures, dans sa chambre, au château de la Canière, à THURET : elle cachait de nombreux résistants pour les faire passer en Angleterre ou en Afrique du Nord. C’était une grande patriote.
Déjà, lors de la guerre 1914-1918, elle était partie pour soulager et réconforter les « poilus », étant elle-même infirmière brancardière ; à ce titre, elle a été décorée de la médaille militaire.
A l’époque citée, le château de la Canière était le centre d’un groupe des « Chantiers de Jeunesse » ; certains de ces jeunes faisaient de la résistance. Malheureusement, dans ce groupe, il y avait également infiltration de français qui collaboraient avec l’ennemi et surtout avec la gestapo.
Suite à une dénonciation de certains d’entre eux, elle a été arrêtée et torturée.
Mlle de CHABROL était au courant de l’activité de sa tante, elle l’aidait ainsi qu’une demoiselle de compagnie « Simone ».
L’un des épisodes qui a été certainement la cause de son arrestation fut l’arrivée, fin septembre 1943, de trois hommes, dont deux d’une forte corpulence, un soir, entre 21 heures et 22 heures.
Cette arrivée fut sûrement remarquée par certains hommes des « Chantiers de Jeunesse » et notamment par un dénommé « Hilaire » venant de Valenciennes, ouvrier mineur et ordonnance d’un des chefs des Chantiers. « Hilaire » ne se cachait pas d’avoir des relations » avec une nommée « Gertrude » résidant à THURET qui avait la réputation de recevoir de nombreux officiers allemands ; il ne cachait pas non plus ses contacts avec la gestapo.
L’un de ces trois hommes, arrivés un soir de septembre, était un officier très important au sein de l’Intelligence Service ; il était, suivant les dires de Mlle de Chazelles, rapportés par Mlle de CHABROL, en possession de documents ultra secrets sur la défense des côtes de la Méditerranée. Ces documents devaient être transmis en urgence au gouvernement anglais.
Ces hommes ont logé au deuxième étage du château de la Canière la première nuit ; mais devant l’importance du personnage à cacher et à faire passer en Angleterre, elle a décidé avec certains résistants des « Chantiers de Jeunesse » de les installer sous des tentes dans le bois de la Canière. Ces trois hommes ont trouvé le temps long : cinq à sept jours d’attente pour un départ qui ne venait pas. C’est une voiture venue de Vichy qui les a enfin emmenés ; leur départ a eu lieu vers la Croix Saint-Hubert (intersection de la route Thuret-Aigueperse avec celle de Chassenet). Ils ont certainement utilisé la filière « aumônier malade » dont le siège était au couvent de Bussières-et-Pruns.
Quelques temps plus tard, Mlle de Chabrol a entendu le message suivant à la radio de Londres : « Lavoisier sera à l’honneur, Madeleine. », ce qui était l’annonce de la bonne arrivée des trois hommes de l’Intelligence Service avec les fameux documents.
L’arrestation
Le samedi 25 septembre 1943, Mlle de Chabrol quitta sa tante pour aller à JOZERAND, au mariage d’une jeune fille de la Commune qui faisait partie de la chorale de la paroisse. Elle ne revit plus sa tante, car le lundi 27 septembre 1943, à huit heures du matin, sept à huit camions de la gestapo envahissaient le parc du château de la Canière et leurs occupants arrêtèrent Mlle de Chazelles dans sa chambre. Ils lui firent subir un interrogatoire dans le hall du château. « Simone » qui s’était enfuie au deuxième étage aurait entendu tout l’interrogatoire, du fait de la bonne résonance du hall ; Mlle de Chazelles fut emmenée dans une très belle et très grosse voiture qui prit la direction de Bussières et d’Aigueperse. La population a pu voir passer cette voiture et le convoi de la gestapo. On perd la trace de cette voiture à Aigueperse; elle a dû prendre la direction de Randan-Vichy.
Il fut signalé également, par Mlle de Chabrol, que ce lundi 27 septembre 1943, vers 14 heures, un nommé Jean de ROQUETTE BUISSON, certainement alerté de l’arrivée des allemands au château de la Canière était venu aux nouvelles de son frère, mais celui-ci n’était pas là. Les allemands de la gestapo le capturèrent et le rouèrent de coups dans la cour du château, devant de nombreux témoins, puis l’enfermèrent dans la « chambre bleue ».
Le Comte de CHABROL, père de Mlle de Chabrol, était également au courant des activités de sa belle-sœur. Dès qu’il sut son arrestation, il vint avertir sa fille Isabelle, le lundi 27 Septembre 1943. De Jozerand, il téléphona trois ou quatre, fois à la poste de Thuret et la postière, Marie-Antoinette ASTIER lui répondit qu’il n’y avait plus de communication avec La Canière. Suite à ces réponses, le Comte de CHABROL pris son vélo, alla de Jozerand à Vichy voir le général allemand commandant la place de Vichy ; il fut reçu et lui demanda s’il savait où était sa belle-sœur. L’officier allemand refusa d’abord de répondre ; mais devant l’insistance du comte qui arguait de sa qualité d’officier pour obtenir ce renseignement, il téléphona devant le comte à un général allemand à Clermont-Ferrand. Après une longue discussion assez difficile, il a été signifié au comte que Mlle de Chazelles était enfermée au 92.
Des contacts ont été établis par « Simone » qui allait porter au 92 du linge ou des objets de piété que la prisonnière réclamait mais elle ne l’a jamais vue. Mlle de Chabrol nous signale que le linge de sa tante rapporté par Simone était souvent maculé de sang provenant en apparence de piqûres ; certains petits papiers y étaient cousus réclamant notamment missel et croix. Ensuite elle fut déportée par train au camp de RAVENSBRUCK où elle mourut. L’annonce officielle fut faite en Mairie de THURET le 22 mai 1944 et transmise à Mlle de Chabrol par Monsieur Pierre DETRUIT, 1er Adjoint au Maire de THURET.
Mlle de Chabrol nous signale également un fait qui s’est déroulé avant l’arrestation de sa tante.
Pendant un repas servi par « Simone », Melle Isabelle discutant avec sa tante avait appris qu’un « aumônier malade » résidant au couvent de Bussières avait une filière pour faire passer les résistants en Angleterre. Mlle de Chazelles dit à sa nièce d’aller se renseigner pour faire partir les trois hommes de l’Intelligence Service. Les portes du salons étaient ouvertes ; au cours de cette discussion, Mlle Isabelle entendit du bruit, elle se leva précipitamment pour aller vers une des portes ouvertes et vit « Hilaire » se sauver, il n’était pas chaussé. Par la suite, elle fit le rapprochement avec l’arrestation de sa tante ; ceci devait avoir une autre répercussion : une perquisition de la gestapo au presbytère de Thuret. Celle-ci interrogea le curé OSSEDAT lui demandant s’il n’hébergeait pas un « aumônier malade », ils ne trouvèrent rien.
Par la suite, Mlle de Chabrol fit la connaissance de la supérieure du couvent de Bussières lors d’un voyage par le train d’Aigueperse à Clermont-Ferrand ; tout en parlant de l’arrestation et de la déportation de sa tante, elle appris que la gestapo avait encerclé le couvent le jour de l’arrestation ; après un coup de sifflet, tous les soldats avaient escaladé le mur d’enceinte et la gestapo avait interrogé la supérieure sur l’hébergement de l’aumônier malade ». Après avoir perquisitionné partout, ils ne trouvèrent personne. « L’aumônier malade », informé sur les intentions de la gestapo, avait disparu.
La mort de Mlle de CHAZELLES correspondrait bien à l’annonce officielle ; ceci est confirmé par le témoignage d’une femme juive arrêtée lors de la rafle effectuée par la gestapo dans des familles juives résidant dans la commune. Son mari est mort en déportation, mais cette femme en est revenue ; elle se rappelle qu’au camp de RAVENSBRUCK où elle était aussi déportée, elle avait vu sur une caisse servant de cercueil une étiquette au nom de « de CHAZELLES » ; cela lui rappela le Château de la Canière à côté de THURET. Dans cette caisse trop petite, elle a vu le bras droit de Mademoiselle Madeleine de CHAZELLES coupé sur le corps de celle-ci.
On devrait retrouver le nom de cette femme juive car elle se ravitaillait chez Hortense CROZET qui habitait le hameau de Chassenet.
Mlle de CHABROL nous signale également qu’elle avait appris l’arrestation et l’exécution de « Hilaire » par les résistants dans la région de Volvic ; mais d’après elle, il n’était que le complice de son supérieur des chantiers de jeunesse ; et c’est certainement celui-ci qui a dénoncé les activités de sa tante dans la résistance.
A une question posée à Mlle de Chabrol au sujet du passage éventuel du Général de LATTRE DE TASSIGNY au Château de la Canière, elle dit ne pas en avoir eu connaissance ; mais sa tante, qui ne lui a pas tout dévoilé, lui fit cette remarque : « Tu ne sais pas le grand personnage que j’ai dû héberger ! » Elle indiqua également, sans pouvoir l’affirmer, que le personnage important de l’Intelligence Service pouvait être le fils de CHURCHILL.
Précisions apportées par Mademoiselle Isabelle de CHABROL lors d’un deuxième entretien qu’elle a eu avec Mademoiselle MORANGE alors Secrétaire de Mairie à THURET.
Pendant la guerre de 1914-1918 Mlle de CHAZELLES était infirmière à COMMERCY. Pendant la deuxième guerre mondiale, son réseau était celui de Madeleine FOURCADE. Le jeune anglais important, membre de l’Intelligence Service, cause dernière de la déportation de Mlle de CHAZELLES, s’était évadé par une fenêtre de W.C, au pont de BELLERIVE d’où il s’était aussitôt rendu à La Canière. C’était la raison pour laquelle la Gestapo le recherchait dans toute la région. Mlle de CHABROL a pensé qu’il était de la famille de CHURCHILL car elle lui a posé différentes questions (domicile, mère française) qui le lui laissait supposer parce qu’elle connaissait la région londonienne. Mais ce n’est pas une certitude. Il était porteur de documents sur la défense côtière de la méditerranée, confiés par le comte CALVI, gendre du roi d’Italie mais peut-être avait-il aussi des documents concernant la défense de la Manche. Le colonel HUGUET s’est longuement entretenu avec Mlle de CHABROL pour envisager l’atterrissage d’un avion à la Canière. Mais ce fut impossible car trop voyant. En attendant, le château devenant une cachette trop précaire (manque de volets et odeur du tabac anglais), on cacha l’anglais et ses « gorilles » dans le bois, dans un coin très touffu ; des tentes furent fournies par Jean de ROQUETTE BUISSON. En attendant le départ de l’anglais, à la faveur d’une pluie souvent torrentielle due à l’équinoxe, Mademoiselle de CHAZELLES et sa nièce allaient leur porter à manger à deux heures du matin. Des gens pensaient qu’elles allaient dans le bois chercher de la nourriture lancée par avion.
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